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2.1.1.  Approches historiques de l’annotation (papier et net)

2.1.1.1.  Qu’est-ce qu’une annotation ?

1 Commenter le paragraphe 1 2 L’histoire de l’annotation est aussi longue que celle de la lecture, et a pris, au cours de son existence, des formes diverses. Plusieurs chercheurs, comme Anthony Grafton, se sont faits historiens et théoriciens de l’annotation. Afin d’introduire notre sujet, il convient de définir ce qu’est une annotation.

2 Commenter le paragraphe 2 3 L’annotation peut être en partie définie comme une opération matérielle, intellectuelle et corporelle, menée à partir et en regard d’un objet dont elle assure la transformation et l’appropriation éventuelle et auquel elle est sémantiquement et linguistiquement liée. (Marc Jahjah)

3 Commenter le paragraphe 3 6 Le mot « Annotation » vient du latin classique : il dérive du terme adnotatio (« annotation ») et de adnotare (« noter à côté »). Dans les dictionnaires contemporains, le mot annotation ne recouvre pas une définition unique. Plusieurs acceptions coexistent : « Notes accompagnant un texte pour en fournir une explication ou une critique » pour le dictionnaire de la langue française ; « Action de faire des remarques sur un texte pour l’expliquer ou le commenter ; ces remarques » pour Le Larousse ; « Remarques manuscrites notées en marge d’un texte » dans le dictionnaire du CNRTL.

4 Commenter le paragraphe 4 4 Ces différentes définitions sont intéressantes en ce qu’elles divergent. Si tous s’accordent à designer l’annotation comme une remarque apposée en regard du texte, sa nature n’est pas bien claire. Sa forme tout d’abord : le CNRTL entend l’annotation comme une remarque manuscrite, tandis que le Larousse et le Dictionnaire de la langue française ne donnent pas de précision de cette nature. La note peut être en effet manuscrite (elle est apposée sur un exemplaire du livre) ou bien imprimée, dans le cas d’une édition critique par exemple. D’autre part, les trois dictionnaires n’appréhendent pas la teneur de la note de la même façon : le CNRLT ne dit rien de son contenu, tandis que le dictionnaire de la langue française et le Larousse s’essayent à le définir : une remarque d’explication ou de critique pour le premier, une remarque d’explication ou de commentaire pour le second.

5 Commenter le paragraphe 5 3 En regard de la longue histoire de l’annotation, qui connaît aujourd’hui de profonds renouvellements avec l’avènement de l’ère numérique, ces définitions peinent à couvrir les réalités multiformes de l’annotation. C’est pourquoi nous optons, dans ce travail, pour une définition minimale : « une annotation est une remarque apposée sur un texte ». Ainsi, l’annotation n’est pas réduite à sa forme (manuscrite, imprimée ou numérique) ni à son contenu (une remarque, un commentaire, une explication, une reformulation, une simple marque structurelle). Cette définition permet d’englober des pratiques d’annotation non textuelles telles que le surlignage, le soulignage et l’apposition de signes (dont souvent seul le scripteur connaît la signification). La plupart du temps, l’annotation est une pratique asynchrone, c’est-à-dire qu’elle est apposée à postériori de la rédaction du texte.

 2.1.1.2.  Brève histoire de l’annotation

6 Commenter le paragraphe 6 1 La pratique de l’annotation est donc ancienne et recouvre plusieurs formes : glose dans le manuscrit médiéval, commentaire de lecteur en regard du texte, la note de bas de page dans le livre imprimé.

7 Commenter le paragraphe 7 1 Ces annotations, quelque soit leur nature, sont aujourd’hui très étudiées, car elles nous permettent d’appréhender les manières de lire des hommes qui nous ont précédés. La lecture est une forme essentielle de l’appropriation des connaissances, de la construction des savoirs et de l’échange entre les intellectuels. Mais ces pratiques de lecture ont été diverses et peu d’indices nous permettent de les appréhender. Les annotations sont donc une des plus précieuses sources, car elles nous laissent deviner comment les lecteurs ont utilisé leurs livres, les références qu’ils avaient en tête alors qu’ils lisaient… Au cours de la dernière décennie, plusieurs chercheurs ont exploré ces marques d’usage pour s’approcher des pratiques de la Renaissance et de l’époque moderne (appel bibliographique).

8 Commenter le paragraphe 8 4 Deux projets, menés par la Netherlands Organization for Scientific Research (NWO) d’une part et par l’ UCL Centre for Editing Lives and Letters d’autre part, entendent redécouvrir les annotations des lecteurs du passé grâces aux technologies numériques. La base Annotated Book Online (ABO), portée par la NWO, se veut une plateforme transnationale d’étude des annotations des lecteurs de l’époque moderne. Il est possible pour les institutions de verser des livres annotés préalablement numérisés, et, pour les chercheurs, d’annoter numériquement les annotations manuscrites qu’ils contiennent. Plus récemment, en juillet 2014, l’UCL a reçu une subvention de 488 000 dollars de la part de la fondation W. Mellon pour mettre en œuvre le projet « The Archaeology of Reading in Early Modern Europe », similaire à celui d’ABO, avec une plateforme numérique et collaborative pour la transcription, la traduction et l’analyse des annotations, le tout largement ouvert.

9 Commenter le paragraphe 9 2 Tout comme l’annotation en regard du texte, apposée par un lecteur sur un exemplaire unique, l’annotation imprimée, qu’elle soit marginale ou qu’elle forme une « note de bas de page », intéresse également les chercheurs. Elle témoigne des processus intellectuels de construction du savoir. Les chercheurs y indiquent leurs sources (archives), une bibliographie indicative, qu’ils commentent parfois, revendiquent une appartenance à telle ou telle école, précisent l’historiographie du sujet qu’ils traitent… de façon plus ou moins subtile. Il existe tout un savoir-faire et un savoir-vivre de la note de bas de page, au sujet desquels Antony Grafton a publié un ouvrage de référence, « les origines tragiques de l’érudition, une histoire de la note en bas de page ».

2.1.1.3.  L’annotation et l’informatique

10 Commenter le paragraphe 10 3 Moyen d’appropriation de l’information, l’annotation s’est vite imposée comme un enjeu dans l’émergence de l’informatique, notamment des sciences documentaires. La métadonnée, est en soi une annotation puisqu’elle forme une donnée sur la donnée, un moyen de décrire les ressources dans l’espace numérique.  Afin de rendre possible l’annotation des ressources numériques, qu’elles se trouvent ou non sur internet, de nombreux systèmes d’annotation ont été inventés. Ainsi, lors de sa thèse de doctorat consacré à la « fédération et amélioration des activités documentaires par la pratique d’annotation collective », Guillaume Cabanac avait recensé et analysé 64 systèmes d’annotations développés entre 1989 et 2008.

11 Commenter le paragraphe 11 1 À l’ère d’internet, les enjeux se sont renouvelés, ouvrant ces annotations numériques à des perspectives plus larges. L’internaute peut commenter un article de journal en ligne, un billet de blog, mais aussi des PDF ou des livres électroniques. Annoter sur le web prend de nouvelles formes: créer un lien entre deux ressources distinctes, géolocaliser une information, relayer une page sur les réseaux sociaux en sont autant d’exemple.

12 Commenter le paragraphe 12 2 La dimension conversationnelle d’internet a bouleversé le monde de l’annotation : alors que le lecteur, en annotant sur le papier, s’adressait jusqu’ici à lui-même ou à un petit nombre de personnes pouvant avoir accès à son exemplaire d’un texte, l’annotation sur internet devient un vecteur d’échanges avec un nombre théoriquement infini d’utilisateurs.

13 Commenter le paragraphe 13 12 Dès le lancement de Mosaïc en 1993, Anderson souhaitait intégrer un module d’annotation, avant de le retirer, trop de problèmes techniques. Dans les années qui suivent, plusieurs outils sont développés. Ainsi, en 1994, l’université de Stanford développe le système ComMentor, basé sur le langage Perl : il offre de produire et de partager des annotations à partir des pages visualisées dans Mosaïc. L’année suivante, une société californienne commercialise iMarkup Client, un plug-in d’annotation pour le navigateur Internet Explorer. À l’Université de Californie, en 1997, Ka-Ping Yee développe Critlink, un outil d’annotation n’exigeant aucun logiciel supplémentaire et fonctionnant directement dans le HTML, mais qui est devenu obsolète avec la généralisation de JavaScript. Par la suite, de nombreux outils d’annotations sont testés, sans succès. Parmi eux, on peut citer ThridVoice (1999-2001), Fleck (surligneur visuel pour le web, 2005-2010), Annotea (développé par le W3C entre 2001 et 2005) et Google Sidewiki (fermé en 2011). À partir du milieu des années 2000, le nombre d’outils développé a fait un boom, notamment poussé par les start-ups.

2.1.1.4.  Pourquoi l’annotation intéresse-t-elle tant ?

14 Commenter le paragraphe 14 4 Si l’annotation est un objet d’intérêt depuis les débuts de l’internet, cet intérêt semble donc être renouvelé depuis quelques années. En effet, dans le cadre du web 2.0., plus interactif et social, l’annotation ouvre de nouvelles perspectives. L’annotation, sous la forme du commentaire ou de la liaison de données participe de l’économie de la contribution sur laquelle repose le web 2.0. C’est ainsi que les acteurs du web encouragent l’annotation des contenus. Les annotations produites par les usagers (commentaires, tags, recommandation…) ont une incontestable dimension économique. Les plateformes de lecture en ligne, comme Amazon ou Kobo encouragent voire valorisent les annotations de leurs usagers. Preuve de la valeur économique de l’annotation, Copia a essayé de vendre celles produites par ses utilisateurs.

15 Commenter le paragraphe 15 4 Dans un avenir proche, nous devrions basculer du web des documents vers le web des données : dans le web sémantique où l’annotation pourrait être centrale, notamment sous la forme de l’indexation.

16 Commenter le paragraphe 16 1 C’est pourquoi beaucoup de gens étudient l’annotation et proposent de nouveaux outils.  

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