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1.1.2. Une source et un objet historique – approche historiographique

1.1.2.1.  Les guides comme source

1 Commenter le paragraphe 1 2 Les guides de Paris forment une source importante pour qui veut enquêter sur le Paris des XVIIe et XVIIIe siècles. Ainsi de nombreuses disciplines font ponctuellement appel aux guides comme source documentaire pour l’histoire urbaine, la topographie, l’architecture, l’histoire de l’art, l’histoire sociale et offrent des lectures diverses des guides sous le prisme de leurs problématiques. Ainsi, dans sa thèse de doctorat, Laurent Turcot s’interroge sur la construction sociale de la figure du promeneur au cours du XVIIIe siècle. L’un des six chapitres de son ouvrage aborde le guide de voyage comme un véhicule de promenade. L’auteur utilise ces textes pour comprendre les modalités de la promenade à travers la représentation sociale et urbaine qu’ils offrent. Dans La ville promise. Mobilité et accueil à Paris (fin XVIIe-début XIXe siècle), les guides permettent aux auteurs de questionner les représentations de la ville offertes au nouvel arrivant.

2 Commenter le paragraphe 2 3 En histoire de l’art, les guides de Paris forment une source importante. Au fil de la période moderne, l’art occupe une place croissante dans ces ouvrages. En effet, à la même période, Paris s’affirme comme la capitale des Arts, au point de prétendre détrôner Rome au cours du XVIIIe siècle. Reflet de l’intérêt marqué de l’époque pour les arts, les guides leur consacrent une place de plus en plus importante. À ce titre, Germain Brice marque un tournant important en accordant une attention nouvelle à la description des cabinets, bibliothèques et appartements « bâtis à la moderne » et aux œuvres qu’ils renferment. À son instar, nombre d’auteurs s’efforcent de signaler les tableaux, sculptures, collections présents dans les églises, palais et hôtels particuliers. En 1749, dans la préface de son Voyage pittoresque de Paris, qui entend répondre à l’empressement des amateurs, Dezallier d’Argenville déclare prendre modèle sur « l’ordre clair et la précision des guides de Rome, Florence et des plus grandes villes d’Italie ». Notons au passage qu’au cours du XVIIIe siècle, un troisième archétype du lecteur s’affirme dans les titres des guides, au côté de l’étranger et du curieux : l’amateur. Un terme qui qualifie parfois également l’auteur, tel Hebert dans le Dictionnaire pittoresque et historique, ou description d’Architecture, Peinture, Sculpture, Gravure (…) des Établissements et Monuments de Paris (…).

3 Commenter le paragraphe 3 3 Du fait de l’abondance des mentions aux œuvres d’art, les historiens de l’art ont l’habitude d’utiliser ponctuellement les guides pour identifier ou authentifier les œuvres présentes dans tel ou tel édifice, mais également pour analyser le discours produit sur l’art et ainsi retracer une histoire du goût.

4 Commenter le paragraphe 4 4 Certains ont utilisé plus largement les guides à l’instar d’Etienne Jollet, qui dans une communication du colloque « Les guides imprimés du XVIe au XXe siècle » s’est intéressé aux modalités d’accès aux œuvres conservées dans la capitale. Le discours des guides « donne l’impression tout connaître, et de pouvoir pénétrer partout, de mettre l’œuvre à la disposition intégrale du visiteur-lecteur » et se font très discrets, voire passent sous silence les limitations d’accès aux œuvres. Par une étude approfondie du corpus, Etienne Jollet a mis en lumière les critères de sélection des œuvres signalées dans les guides (accessibilité par indication) et ouvert des pistes pour évaluer leur « accessibilité physique ». L’analyse du discours des guides a aussi permis de prendre en considération une accessibilité intellectuelle, liée au développement d’un discours savant sur les beaux-arts.

5 Commenter le paragraphe 5 4 Souvent, bien qu’utilisées parmi d’autres sources, les guides sont isolées, comme s’ils représentaient un groupe à part, exigeant un traitement particulier, reflet de leur singularité. Nous touchons là au cœur du métier de l’historien : la critique des sources. En effet, aucune source ne saurait être considérée comme objective, surtout en matière de littérature.

6 Commenter le paragraphe 6 5 Le guide imprimé se veut un véhicule de découverte de la ville : il sert à dévoiler un espace peu ou pas connu du lecteur et à s’y repérer. Ce dernier doit y puiser les informations, descriptions et recommandations nécessaires à sa conduite. Pour autant, le guide ne propose pas un reflet exact de la cité, mais seulement une représentation de celle-ci. En assimilant la ville à l’espace guidé, le livre offre de la réalité urbaine une image construite et normée, notamment par le recours à des nomenclatures.

7 Commenter le paragraphe 7 5 Or, comme l’a souligné Gilles Chabaud, les chercheurs utilisent aujourd’hui les guides comme source de renseignements sur un espace urbain passé qu’ils souhaitent appréhender, c’est-à-dire de la même façon que ces ouvrages devaient l’être à l’époque, ou du moins selon la manière dont les auteurs et éditeurs supposaient qu’ils soient utilisés pars leurs lecteurs. Cette homologie de pratique entre lecteur d’hier et lecteur d’aujourd’hui ne peut qu’interroger l’historien sur son regard critique vis-à-vis de la source : n’est-il pas dans l’illusion rétrospective ?

1.1.2.2.  Une utilisation comme source qui soulève maintes questions

8 Commenter le paragraphe 8 0 Cette interrogation démontre la nécessité de bien connaître le corpus pour qui veut l’utiliser comme source. Selon une tradition bien établie de la discipline historique, le chercheur doit produire un travail réflexif, historique et critique sur le texte, notamment en étudiant le contexte d’écriture, d’édition et de réception de ces textes. Il s’agit d’appliquer de façon actualisée la méthodologie établie à la fin du XIXe siècle par C.-V. Langlois et C. Seignobos dans Introduction aux études historiques (1898), c’est-à-dire de procéder à une critique externe et interne de la source.

9 Commenter le paragraphe 9 0 Cependant, une telle approche ne saurait suffire : les guides forment un corpus si complexe qu’il faut dépasser la simple critique traditionnelle de la source et les étudier pour eux-mêmes, en tant qu’objet historique.

10 Commenter le paragraphe 10 4 Il s’agit d’analyser les guides pour comprendre leur modèle de fonctionnement, démêler les conventions qui entrent en jeu, questionner les limites de ces textes et leurs silences. Ainsi, les guides ne donnent pas de la ville un reflet exact de sa réalité urbaine. Au contraire, alors qu’ils s’adressent à une élite lettrée locale et internationale, les guides véhiculent un regard sur la ville qui plait aux édiles. En s’offrant comme guide de civilité et manuel d’urbanité, les guides véhiculent et participent aux sociabilités propres aux classes dominantes.

11 Commenter le paragraphe 11 2 Ces quelques exemples rapidement évoqués témoignent bien de ce que le guide ne témoigne de la ville que par le jeu d’un miroir brisé, pour reprendre la formule de Pierre Vidal-Naquet, qui proposait, dans un ouvrage portant ce titre, de saisir la réalité historique d’Athènes à travers la tragédie grecque.

12 Commenter le paragraphe 12 1 Le genre des guides relevant donc d’une construction sociale dont nous héritons, il nécessite le plus grand recul critique.

1.1.2.3.  Les guides comme objet

13 Commenter le paragraphe 13 4 Les guides ont connu une longue période indifférence historiographique de 1920 à 1980, avant un renouveau d’intérêt sans précédent. Gilles Chabaud, dont les recherches sur l’histoire des villes capitales et des mobilités européennes l’ont conduit à utiliser abondamment ces ouvrages, est devenu le spécialiste des guides. Dans un article de 2000, il explique que le renouvellement du regard sur les guides doit beaucoup aux évolutions récentes de l’histoire du livre, de la lecture et de l’édition.

14 Commenter le paragraphe 14 2 Ainsi, dans l’approche des guides de Paris, il est indispensable de prendre en compte la dimension bibliothéconomique et de questionner les liens entre les auteurs et les éditeurs, les phénomènes d’alliances et de concurrences commerciales, le volume et la fréquence des tirages, éditions, remaniements et corrections. Il s’agit par là d’étudier l’intertextualité. La relation entre l’offre et la demande doit également faire l’objet d’une plus grande attention. En particulier, l’adéquation entre les usages voulus et réels des guides doit être évaluée. Cela passe notamment par une étude matérielle des livres : en quoi leur forme, plan, lisibilité, portabilité s’adapte aux usages ?

15 Commenter le paragraphe 15 4 L’approche des guides en tant qu’objet historique doit être inter et multi disciplinaire et rassembler les regards de sociologues, géographes, chercheurs en littérature, historiens de l’art et historiens des villes. Elle passe notamment par une « déconstruction » systématique des représentations que les guides ont véhiculées et léguées, les naturalisant aux yeux des lecteurs. Il faut également questionner l’influence réciproque des guides sur les pratiques sociales et des pratiques sociales sur les guides. Il faut également analyser les critères de sélection, les formes des nomenclatures, sonder les silences et s’interroger sur les limites des guides, soit autant d’impératifs délicats compte tenu de l’ampleur du corpus.

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Source :http://johannadaniel.fr/memoire/?page_id=15&replytopara=11