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1.1.1. Présentation du corpus des guides

1.1.1.1.  Qu’est-ce qu’un guide ? Histoire d’un succès éditorial de l’époque moderne

1 Commenter le paragraphe 1 6 Sous le nom de « guides de Paris » est désignée une littérature utilitaire qui fleurit à l’époque moderne. Ces ouvrages ont pour but de guider leur lecteur à travers l’espace urbain en lui fournissant une représentation ordonnée de la ville et toutes sortes d’informations à caractère topographique, historique ou social. Les guides contiennent en effet à la fois des connaissances érudites et des renseignements pratiques, soit autant d’indications nécessaires à la découverte, à l’usage et à l’appréciation de la capitale.

2 Commenter le paragraphe 2 4 Paris est alors une ville en pleine croissance, extrêmement attractive. Étape incontournable du Grand Tour, pôle obligé de l’économie française, Paris reçoit un nombre grandissant de visiteurs dont les séjours, plus ou moins longs, sont dictés par des impératifs variés (économiques, sociaux, culturels) et impliquent un rapport direct à la ville. Or, l’accroissement urbain que connaît au même moment la capitale rend nécessaire le recours à des outils pour s’orienter dans le tissu urbain, en maîtriser les fonctions administratives, les activités citadines et les conventions sociales. La multiplication de cette littérature spécifique des guides de Paris répond donc à un besoin.

3 Commenter le paragraphe 3 10 Gilles Chabaud, le spécialiste des guides de Paris a réalisé un recensement de ces ouvrages. Pour la période des XVIIe et XVIIIe siècles, il en identifie 147, dont près de la moitié ont été publiés postérieurement à 1750. Parmi ces 147 titres se trouvent 50 œuvres originales, 30 rééditions et 67 réimpressions.

1.1.1.2.  Origines du genre

4 Commenter le paragraphe 4 3 L’apparition des guides de Paris résulte d’une lente évolution et de la fusion de plusieurs veines littéraires antérieures : les guides des routes en France, les Antiquitez de Paris et les cris de Paris. Les premiers forment de petits livres décrivant les itinéraires pour parcourir le royaume et indiquent quelques monuments remarquables. Ces ouvrages, généralistes, n’accordent qu’une place réduite à Paris. La veine des Antiquités est en revanche uniquement consacrée à la cité, dont elle évoque la gloire à travers la description de ses origines, de son histoire, de ses monuments et de ses épitaphes, formant ainsi un « pourtraict » élogieux, issu de la tradition médiévale. Ces livres, s’ils décrivent la cité, ne forment pas pour autant des guides, car demeurent dépourvus de tout aspect pratique et passent sous silence les manières de parcourir la ville. Enfin, les fascicules des cris de Paris, parmi bien d’autres informations, offrent souvent des listes topographiques (listes des noms de rues, églises). Les guides de Paris vont retenir de ces ouvrages certaines caractéristiques, formant ainsi une offre éditoriale nouvelle

5 Commenter le paragraphe 5 5 La fleur des Antiquités de Paris, publié pour la première fois en 1532 par Gilles Corrozet, fait figure d’ancêtre direct des guides de Paris, sinon d’ouvrage fondateur du genre. Issu de la tradition des Antiquités, il produit un portait élogieux de la ville, tout en donnant une importance inédite aux remarques historiques. Plus novateur, il offre, dès sa seconde édition, l’année suivante, une liste topographique des rues, églises et collèges de la capitale. Cet ajout, certes encore simple et fruste appendice d’un inventaire archéologique, marque la fonction utilitaire nouvelle de l’ouvrage : celui d’un guide topographique. Il s’impose ainsi à la fois comme guide et miroir de la ville, dont il ordonne l’espace clos autour d’éléments constitutifs de son identité.

6 Commenter le paragraphe 6 1 Marque de son succès, la fleur des Antiquités, devenue Les antiquitez, histoires et singularitez de Paris en 1550 est réimprimée et rééditée 25 fois durant le demi-siècle qui suit. Profondément remanié par les auteurs successifs (10 éditions sont proposées après la mort de Corrozet), l’ouvrage donne naissance à d’autres livres du même type. Ainsi, Jacques du Breul, après avoir poursuivi l’œuvre de Corrozet (1608), publie en 1639 un texte nouveau, Le théâtre des antiquités de Pairs, proposant un découpage inédit quartier par quartier.

1.1.1.3.  Milieu du XVIIe : autonomisation du genre et affirmation quantitative

7 Commenter le paragraphe 7 4 Alors que les guides connaissent un essor net dans les premières années du règne de Louis XIV (vingt publications entre 1661 et 1690 contre sept pour les trente années précédentes), le caractère fonctionnel évince progressivement les aspects héraldiques ou emblématiques, derniers vestiges des « antiquités de Paris » pour proposer, selon les titres, un repérage de la ville, un itinéraire de visite ou un inventaire des services offerts par la cité.

8 Commenter le paragraphe 8 3 Ainsi, en 1684, Germain Brice fait paraître une Description de la ville de Paris, appelée à un grand succès (9 éditions jusqu’en 1752). Son ouvrage marque une rupture avec les guides précédents. En effet, pour ce qui est des origines de la cité et de sa fondation, Brice renvoie explicitement aux ouvrages de Du Breul et de Corrozet. Aux longues descriptions et au minutieux relevé des épigraphies, il préfère signaler au visiteur « ce qu’il y a de plus remarquable, & ce qui mérite d’estre regardé avec quelque sorte de distinction » : c’est ainsi qu’il pointe les principaux monuments civils et religieux, les plus belles demeures particulières, les œuvres d’art réputées et les bibliothèques les mieux fournies. S’appuyant sur son expérience de Cicérone (il guide fréquemment de jeunes étrangers venus se former à Paris), Germain Brice propose un itinéraire de visite de Paris et de ses faubourgs, sélectionnant les « beautés » de la ville qui méritent d’être vues. Par ce tri et une hiérarchisation des informations, il évite au touriste la peine de chercher. Ce souci d’efficacité, la proposition d’un parcours organisé et le format matériel de l’ouvrage concourent à faire de la Description de la ville de Paris l’archétype du guide moderne.

9 Commenter le paragraphe 9 3 À l’opposé de l’itinéraire proposé par Germain Brice, Georges Dechuyes, un éditeur d’origine lyonnaise publie en 1647 la Guide de Paris, un ouvrage utilitaire dont l’ambition est de représenter aux yeux du lecteur un ordre général de la ville. Excédé de ces guides qui ne proposent que des listes mal commodes des rues de Paris « placées comme sont les saincts dans les litanies, sans donner aucune lumière qui apprenne ou est la rue que l’on désire voir », Georges Dechuyes publie plusieurs « listes commodes », ordonnées alphabétiquement. Par souci pratique, celles-ci ne figurent pas les noms savants des rues, mais leur appellation courante et précisent les tenants et aboutissants de chaque artère.

10 Commenter le paragraphe 10 2 Ces deux publications, de part et d’autre du spectre des guides de Paris, témoignent de l’éventail couvert par ces publications dont le genre s’autonomise et s’affirme quantitativement. Cette augmentation de la production répond bien sûr à un besoin, même si le guide demeure l’apanage d’une élite lettrée et possédant l’imprimé.

1.1.1.4.  Caractéristiques des guides de Paris

11 Commenter le paragraphe 11 0 Malgré les partis pris différents, les deux guides de Brice et de Dechuyes appartiennent à un même genre éditorial, dont Gilles Chabaud s’est efforcé de définir les caractéristiques et les conventions génériques. Il retient trois caractéristiques : le sujet de l’ouvrage, Paris comme capitale, la fonction, conduire le lecteur dans l’espace urbain et enfin le format, portatif, c’est-à-dire consultable en situation.

12 Commenter le paragraphe 12 7 Par ailleurs, Gilles Chabaud dégage trois conventions communes aux guides : la sélection des informations délivrées, leur organisation à travers des nomenclatures et l’adhésion supposée du lecteur à l’utilité du guide et à la représentation de la ville qu’il fournit. Tout d’abord, leurs auteurs se proposent de livrer une sélection d’informations jugées utiles, sinon nécessaires au lecteur dans sa conduite à travers la ville, puisqu’elles offrent un inventaire des éléments constitutifs de son identité (rues, églises, palais, monuments, hôtels…). Pour ordonner ces informations, tous emploient des nomenclatures. Plus ou moins rédigées et hiérarchisées, elles justifient les choix effectués lors de la sélection des informations à délivrer au lecteur. Leurs critères varient de l’exhaustif au remarquable, du curieux au représentatif. Ainsi, Anonini annonce « Il suffit d’avertir le lecteur que je n’ai rien rapporté que de digne à sa curiosité » tandis que Dezallier d’Argenville écrit « Le lecteur peut compter qu’il ne promenera ses regards sur aucun morceau de peinture ou de sculpture qui ne mérite pas par quelque endroit son attention ». Organisées de façon thématique, topographique ou alphabétique, ces nomenclatures peuvent prendre la forme de simples listes ou véritables cartes mentales. Le tableau en arborescence « Idée générale de la ville de Paris » fournie par Jeze en appendice de son livre État ou tableaux de la ville (1765)en est exemplaire : il forme une carte didactique des fonctions de la cité et une table des matières inédite de l’ouvrage. La nomenclature est ainsi à la fois guide dans l’espace de la ville et dans celui du livre. Nous touchons là à un point essentiel des guides : par les choix opérés et leur organisation, ils offrent de la ville une image structurée, qui prétend en être le reflet. Leur usage suppose donc comme contrepartie l’adhésion du lecteur à l’objet utile qu’est le guide. À l’instar de Dezaillier d’Argenville, qui proclame « je ne suis qu’un guide », ces ouvrages se présentent comme tels, c’est-à-dire un outil donnant les clés géographiques, sociales et historiques de la cité. La présentation rhétorique du lecteur dans les introductions ou les titres y participe : selon les ouvrages, le lecteur est supposé par l’auteur même être un visiteur, un étranger, ou même un parisien.

1.1.1.5.  Au XVIIIe siècle : diversité et élargissement

13 Commenter le paragraphe 13 3 Au XVIIIe siècle, alors que la production de guide s’intensifie (tant en nombre de tirages qu’en nombre de titres nouveaux), l’offre se fait plus diversifiée. Le public, comme les usages, s’étendent. Les auteurs s’adressent aux étrangers en séjour à Paris, aux nouveaux arrivants dans la capitale, mais aussi, de plus en plus, aux habitants eux-mêmes. La figure du parisien comme étranger dans sa propre ville est en effet devenu un lieu commun de la littérature dans la seconde moitié du siècle.

14 Commenter le paragraphe 14 2 Oscillants entre les points de vue de leurs lecteurs supposés, les guides proposent un éventail large d’approche de la ville, allant de l’énumération topographique à la somme érudite sur la ville monumentale en passant par l’inventaire des services et fonctions. Ils offrent de simples énumérations ordonnées, des itinéraires de découverte strictement définis ou encore une invitation à la déambulation et à l’expérience personnelle de l’espace urbain. D’autres, enfin, s’attachent à délivrer les codes de conduite à adopter au sein de la société parisienne.

15 Commenter le paragraphe 15 2 Ainsi, dans Le Voyageur fidèle, paru en 1715Louis Ligier met en scène un voyageur étranger en visite à Paris. En treize chapitres, qui forment autant de journées du séjour, l’auteur propose de suivre l’itinéraire du touriste, émaillé de descriptions des monuments, d’anecdotes et de renseignements pratiques, lesquels sont repris en fin d’ouvrage pour former une liste utile.

16 Commenter le paragraphe 16 2 En revanche, le Dictionnaire historique de la ville de Paris et de ses environs, publié en 1779 par Hurtaut et Magny forme plutôt une somme érudite et utilitaire de ce que la ville propose qu’un parcours de découverte. Mercier, à propos de cet ouvrage, écrira que « s’il prenait un jour fantaisie au monarque de vendre la capitale, ce gros dictionnaire pourrait tenir lieu (…) de catalogue ou d’inventaire ».

17 Commenter le paragraphe 17 1 Donner d’autres exemples ?

18 Commenter le paragraphe 18 3 À chaque proposition ses choix éditoriaux (format, volumes, mise en page et prix) et ses publics. Il faudrait cependant se garder d’en déduire une classification stricte des guides par types, car beaucoup procèdent d’un savant mélange entre ces caractéristiques, et renvoient leurs lecteurs à d’autres lectures complémentaires.

1.1.1.6.  Existe-t-il vraiment un « genre » des guides ?

19 Commenter le paragraphe 19 2 La diversité des guides, qui entretiennent des liens forts avec d’autres types d’ouvrages amène à se s’interroger sur la pertinence de la notion de « genre ». Évoluant beaucoup au cours de la période, et s’inscrivant dans une vaste intertextualité, les guides forment-ils véritablement un genre à part dans la littérature de voyage de l’époque moderne ou résultent-ils d’une construction ultérieure ?

20 Commenter le paragraphe 20 2 Tout d’abord, il faut rappeler que les guides reposent sur des caractéristiques communes mises en lumière par Gilles Chabaud. Leur systématicité justifie du statut de ces livres comme d’instrument de conduite efficace et supposément neutre. Le postulat de l’utilité du guide – auquel le lecteur se doit d’adhérer – forme donc le ciment revendiqué de ce groupe éditorial aux multiples déclinaisons. Les auteurs eux-mêmes, en renvoyant ou citant des publications concurrentes ou complémentaires à la leur, participent à la définition de ce corpus cohérent. Cela est également renforcé par la banalisation au fil des éditions de certaines informations, qui deviennent de véritables lieux communs, passages ou pratiques obligés de l’appréhension de la ville.

21 Commenter le paragraphe 21 2 Les guides de Paris sont aussi une construction historiographique. Le terme de guide relève en effet d’une acceptation générique, forgée au début du XIXe siècle, au moment où triomphe leur usage. À l’époque moderne, ce que nous qualifions de « guides de Paris » était désigné dans leur titre par différents termes plus ou moins équivalents : conducteur, indicateur, cicérone, manuel… Le terme de guide ne s’impose que dans les premières décennies du XIXe siècle alors que la production atteint des proportions jamais égalées (150 titres en 30 ans). Le mot abandonne alors définitivement le genre féminin, qu’il avait conservé jusqu’au milieu du XVIIe siècle et qui était dérivé de l’action de conduire, trahissant désormais d’un anthropomorphisme par association au guide humain.

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