Lancé en 2010, le site « correspondance d’Eugène Delacroix » propose une édition numérique d’une partie des lettres rédigées par le peintre. Porté par le Centre André Chastel et le musée Delacroix, il s’agit de l’un des premiers projets d’édition numérique des sources de l’histoire de l’art en France.
Enjeux et contexte du projet : éditer la correspondance d’Eugène Delacroix
Durant toute sa vie, Eugène Delacroix (1798-1863) a écrit : outre la rédaction de son Journal, il a entretenu une abondante correspondance. Ces deux corpus forment une source précieuse pour la compréhension tant de son œuvre que du monde de l’art de son époque. Publiés par fragments dès la fin du XIXe siècle1, le Journal et la Correspondance ont fait l’objet au début des années 1930 d’une ambitieuse entreprise d’édition par André Joubin2. Outils de référence mais lacunaires et parsemés d’erreurs de transcription, ces ouvrages ne satisfaisaient plus aux exigences des chercheurs. Le Journal a donc été réédité en version papier en 2007 par Michèle Hannoosh3. En 2006, le Centre André Chastel a obtenu un financement de l’Agence nationale pour la Recherche afin d’établir une édition électronique de la correspondance. Entreprise collective et pluridisciplinaire, le projet a rassemblé de nombreuses institutions et chercheurs d’horizon divers. Leur objectif était triple : proposer de nouvelles transcriptions répondant aux critères scientifiques actuels, actualiser les annotations au regard des avancées de la recherche et enfin intégrer les très nombreuses lettres réapparues au cours des dernières décennies.
Tout d’abord, les chercheurs ont procédé à l’identification des lettres écrites et reçues par Delacroix (qu’elles soient accessibles ou non4) afin de produire un répertoire de sa correspondance. Ce document indique les sources, la localisation et le résumé des contenus des lettres (si connu). Dans un second temps, les chercheurs se sont lancés dans l’édition électronique de certains fonds5 : à partir des manuscrits numérisés, ils ont établi deux transcriptions, l’une diplomatique, l’autre modernisée. Enfin, la dernière étape du travail consistait en l’annotation collective des lettres. Si les transcriptions ont été mises en ligne au fur et à mesure de leur établissement, au contraire, les annotations ont été versées plus tard, après validation par le comité scientifique.
Ergonomie, accès aux données
Le projet a donné lieu à la création d’un site web dont la réalisation a été confiée à l’agence multimédia OPIXIDO, qui a particulièrement soigné le design.
L’accès au corpus s’opère par un formulaire de recherche. Séduisant d’un premier abord, il se révèle à l’usage peu performant. La recherche avancée est contrainte par des listes déroulantes dont les propositions ne renvoient souvent aucun résultat. Ainsi, le même index nominum est employé pour le champ « destinataire » et « expéditeur » alors que seule la correspondance active de Delacroix est éditée. Certains critères de recherche proposés, comme la « présence d’un dessin », donnent des résultats décevants (4 lettres seulement, alors que le rapport du texte à l’image est présenté comme un des axes de recherche de cette édition).
L’affichage des résultats pose également des problèmes d’ergonomie, puisqu’il est impossible de trier les réponses ou d’affiner la recherche par des filtres. Les métadonnées incluses dans la liste des résultats gagneraient à être plus structurées et mieux présentées. Si la date, l’expéditeur et le destinataire sont indiqués, il est dommage que ne soient pas précisés le lieu de conservation et la longueur de la lettre. Par ailleurs, aucune vignette ne permet de visualiser l’item.
En revanche, la page de consultation des lettres est très fonctionnelle et offre un grand confort de lecture : les métadonnées sont clairement exprimées et la transcription fait face aux manuscrits numérisés. L’usage d’un zoom sous Flash pour visualiser les numérisations est cependant critiquable : peu ergonomique, il ne remplace pas un affichage « plein écran » des lettres beaucoup plus agréable pour le lecteur (uniquement disponible dans la version « mobile » du site).
Par ailleurs, la pérennisation et l’interopérabilité de cette édition posent question6. Aucun outil ne permet de récupérer les données du corpus par extraction. De la même façon, il n’est pas possible d’enregistrer les images des manuscrits numérisés, alors que ceux-ci sont disponibles sur le site des institutions détentrices des originaux7. L’absence de permalien interdit une citation pérenne de l’édition numérique. Le format d’encodage n’est pas mentionné, et il est fort probable qu’il ne s’agisse pas de TEI. D’autre part, il est impossible de moissonner le contenu du site, ce qui nuit à l’exposition des données8 . Ces faiblesses s’expliquent en partie par le contexte dans lequel cette édition est née : il s’agit en effet d’un projet pionner en histoire de l’art, lancé dans le cadre de la première campagne du programme CORP9. À l’époque, l’ANR n’imposait aucun format de livraison, laissant une liberté totale aux porteurs du projet, qui disposaient par ailleurs d’un délai court (36 mois) et d’un budget relativement faible (270 000 euros).
Un site vitrine ou un véritable outil pour la recherche?
Le site, par son design séduisant ressemble en bien des points aux expositions virtuelles proposées par le musée du Louvre. Cependant, l’accès par formulaire au contenu écarte facilement un public venu flâner sans objectif précis, puisque seules trois lettres font l’objet d’une véritable médiation grand public à travers l’onglet « Lettres choisies »10.
Alors que le projet officiellement terminé depuis 3 ans, aucune information n’est fournie sur son état d’achèvement. Or, plusieurs biographies sont en attente d’insertion. Plus regrettable, sur le millier de lettres connues de Delacroix, seules 470 sont éditées dans cette version électronique11. Ces lacunes ne sont nullement précisées : le site se présente comme une édition de la correspondance de Delacroix et non comme l’édition d’une partie de la correspondance conservée dans certaines institutions publiques. Quant au répertoire inventoriant l’intégralité de la correspondance de Delacroix, produit dans la première phase du projet, il n’est pas accessible12. Par ses objectifs affichés, l’édition électronique avait pour ambition de remplacer utilement l’édition de Joubin. Force est de constater qu’en raison de son incomplétude, elle n’y parvient pas.
Il demeure que ce projet, associant le monde universitaire et des institutions patrimoniales est l’une des premières et encourageantes expérimentation française d’édition numérique des sources en histoire de l’art et doit être salué comme tel.
Informations sur l’édition :
Institution(s) / auteurs | Centre André Chastel, sous la direction de Barthélémy Jobert, Christophe Leribault et Arlette Sérullaz |
Dates du projet | 2006 - 2010 |
État du travail | non précisé (mais vraisemblablement arrêté) |
Statut des textes | édition à nouveaux frais |
Statut des textes | Transcription diplomatique et transcription modernisée |
Source(s) du texte | Correspondance active de Delacroix, conservée dans diverses institutions françaises. |
Apparat critique et notes | Annotations : mise en relation des lettres, commentaires concernant le contexte |
Index, glossaire | Index nominium, glossaire |
Présentation des principes éditoriaux | Oui, mais très sommaire |
Informations techniques | Aucune information sur les choix d’encodage |
Fonctionnalités de recherche | Disponibilité d’un moteur de recherche ; recherche simple « texte libre » en plein texte dans les transcriptions et les annotations ; recherche avancée sur critères contraints par liste déroulante (destinataire, expéditeurs, présence d’un dessin, œuvres citées, lieu de conservation) ou libres (date, mots clés) ; impossibilité d’utiliser les expressions régulières (message d’erreur) |
Repères textuels et citabilité | Aucun repère textuel, absence de permalien mais ID unique dans les URL |
Disponibilité du texte | Impossibilité de télécharger les images et les transcriptions. |
Licence | copyright : le site internet est la propriété intellectuelle exclusive du Centre André Chastel et du Musée national Eugène Delacroix. Liens hypertextes autorisés mais fermement encadrés (interdiction du deep linking…) |
- BURTY, Philippe (ed), Lettres de Eugène Delacroix, Paris, A. Quantin, 1878 [version numérisée sur Gallica <http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k205063z/f4.image>, consulté le 02/02/2014] ; Journal de Eugène Delacroix, notes et éclaircissements par MM. Paul Flat et René Piot, Paris, Plon, 1893-1895[version numérisée sur Gallica <http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k480222s/f6.image>, consulté le 02/02/2014] [↩]
- JOUBIN, André (ed), Correspondance générale de Eugène Delacroix, Paris, 5 volumes, 1938 ; JOUBIN, André (ed), Journal, 1822-1863, Paris, 3 volumes, 1931-1932 [↩]
- HANNOSH, Michèle (ed),DELACROIX, Eugène, Journal, Paris, José Corti, 2009. HANNOOSH, Michèle, « Histoire d’une édition : le Journal de Delacroix, archéologie et reconstitution d’un document », Journal of the International Association of Research Institutes in the History of Art (RIHA Journal), 14 avril 2010, 0001, en ligne, http://www.riha-journal.org/articles/2010/hannoosh-histoire-d-une-edition/@@rihaview, consulté le 23/02/2014 [↩]
- Les catalogues de ventes permettent d’identifier des lettres en main privée [↩]
- Bibliothèque centrale des musées nationaux (1 lettre) ; Institut national d’Histoire de l’Art (281 lettres) ; Bibliothèque des Arts Décoratifs (13 lettres) ; Musée du Louvre (41 résultats) ; Musée Delacroix (119 résultats) [↩]
- POUYLLAU, Stéphane, « Interopérabilité autour de l’édition électronique de la correspondance d’Eugène Delacroix », sp. Blog, 23 octobre 2011, en ligne <http://blog.stephanepouyllau.org/496> consulté le 02/02/2014 [↩]
- C’est notamment le cas pour les lettres conservées à l’INHA, qui les a toutes mises à disposition sur sa bibliothèque numérique. Aucun renvoi n’est fait vers ce site depuis l’édition électronique [↩]
- Le site repose sur une base de données incompatible avec le protocole OAI-PMH [↩]
- Agence nationale pour la recherche, CORP (Corpus et outils de la recherche en sciences humaines et sociales), 2006 voir : http://www.agence-nationale-recherche.fr/projets-finances/?tx_lwmsuivibilan_pi1[Programme]=47, consulté le 20/02/2014 [↩]
- < http://www.correspondance-delacroix.fr/lettres-choisies> [↩]
- En entrant « DELACROIX Eugène » dans le champ « expéditeur » du formulaire de recherche, on obtient 465 résultats. L’interrogation par institutions détentrices des originaux fourni un chiffre inférieur (455). Un script BASH permet d’automatiser l’interrogation via URL de base de données et déterminer le nombre d’items : 470 résultats positifs ont été obtenus par cette méthode [↩]
- Il était pourtant destiné à être mis en ligne. JOBERT, Bartélémy, « Le projet », Correspondance d’Eugène Delacroix, s.d., en ligne < http://www.correspondance-delacroix.fr/contributions/le-projet/> consulté le 02/02/2014 [↩]
Bonjour,
Les recommandations en matière d’interopérabilité OAI-PMH existent depuis longtemps (quasiment depuis la définition de l’OAI-PMH en 1999) à travers de sites tels que celui de la BnF (http://www.bnf.fr/fr/professionnels/protocoles_echange_donnees/a.proto_oai.html). De plus, la licence :
« copyright : le site internet est la propriété intellectuelle exclusive du Centre André Chastel et du Musée national Eugène Delacroix. Liens hypertextes autorisés mais fermement encadrés (interdiction du deep linking…) »
M’interroge encore.
Cordialement,
Stéphane.