L’Institut National d’Histoire de l’Art, à Paris, accueille du 12 au 14 août l’une des nombreuses conférences satellites du 80e congrès mondial des bibliothèques et de l’information de l’IFLA (Lyon, 16-22 août 2014). « Les bibliothèques d’art face au défi de l’édition électronique : nouveaux formats, nouveaux acteurs, nouvelles solutions » est le thème retenu.
Synthèse de mes notes pour la quatrième session de conférences, dont vous pouvez retrouver le programme ici. En fonction de la mise en ligne des PowerPoint, je complèterai ou corrigerai ces notes. Attention : j’ai publié le compte rendu de la session 4 avant celui de la session 3, ce dernier ne saurait tarder à venir…
Session 4 – L’exploration de plateformes numériques pour une édition d’art innovante
Le modérateur de la quatrième session était Jan Simane, directeur de la bibliothèque de l’Institut d’histoire de l’art de Florence. Il nous a rappelé que si, avec le numérique, le rôle des éditeurs change, les habitudes des usagers aussi. Il est impératif que les bibliothèques d’art s’y adaptent. Les rencontres comme celles-ci sont donc essentielles, afin que les responsables des bibliothèques sachent ce qui se passe à l’extérieur (c.-à-d. chez les éditeurs) et soient ainsi armés pour relever les défis du numérique.
Vincent Piccolo, éditeur, est intervenu pour présenter Art book Magazine puis Carina Evangelista, également éditrice, nous a entretenus des avantages des catalogues raisonnés numériques à travers l’exemple d’Artifex Press.
Art book magazine, d’une librairie en ligne à un média de création artistique
ABM Studio est une entreprise spécialisée dans le conseil, le design et la production numérique et imprimée. Récemment, ABM studio a développé l’application iPad « Art, Book, Magazine », que Vincent Piccolo est venu nous présenter.
L’application Art, book, magazine est une librairie indépendante d’ouvrages numériques dédiée à l’art contemporain. Elle propose aux lecteurs des livres et magazines (gratuits ou payants), ainsi qu’un système de bibliothèque / espace de lecture qui permet de lire les documents acquis.
Quel marché pour l’édition de livres d’art numériques ?
Le marché de l’édition ne se présente pas comme un secteur global mais est composé de différentes niches. C’était déjà le cas à l’époque du tout papier, mais avec le numérique le trait s’est fait plus criant : en effet, le monde de l’édition « traditionnelle » avait pour point commun le codex, alors que dans le numérique, les formats et les modes d’accession varient en fonction des contenus.
Un marché se définit par une offre et une demande. Concernant l’offre, l’édition numérique est pour l’essentiel composée de livres homothétiques. La prédominance des terminaux à encre électronique interdit l’illustration de qualité. De ce fait, le livre d’art numérique se cantonne aux tablettes numériques (applications), qui permettent notamment d’intégrer la vidéo. Y’a-t-il, de l’autre côté, une demande du public en matière édition numérique d’art contemporain ? Non… La faute à l’absence d’offre ! Les éditeurs ne se sont pas adaptés au numérique, car cela demanderait beaucoup d’évolutions dans leurs pratiques métiers et leurs savoir-faire. En effet, pour innover au-delà d’une offre homothétique, il faut travailler avec des développeurs, des vidéastes, des spécialistes du son, ce à quoi les éditeurs ne sont pas habitués. Il faut aussi résoudre des questions complexes de droits (diffusion, reproduction). Pour Vincent Piccolo, il faut faire la révolution du numérique et vite ! Dans le cas contraire, la fracture pourrait devenir totale et les éditeurs traditionnels se trouver écrasés par les pure player.
Dans le cas de l’édition numérique d’art, l’absence d’offre convaincante et l’absence de demande de la part du public font que le marché est actuellement inexistant. Au-delà de ce constat, est-il possible d’imaginer et de créer un marché d’édition d’art numérique ?
Enjeux techniques
Un des enjeux de l’édition numérique, particulièrement dans le domaine de l’art, est celui de la technique. La multiplicité des formats est un frein à l’expansion d’un marché. Heureusement, des normes sont actuellement en train de s’imposer, tandis que le futur de la lecture numérique semble se cristalliser autour de la tablette convergente.
Le format e-pub3, intéressant pour les éditeurs, car plus proches de leur cœur de métier, va probablement aider à la transition et à la création de solutions innovantes. Dans ce contexte, le livre d’art numérique arrivera surement à émerger.
La nécessité d’une place de marché
Mais pour que le livre numérique d’art contemporain émerge, il faut surtout créer une place de marché ! Vincent Piccolo a évoqué le cas de la BD numérique où quelques plateformes (comme comiXology) ont créé un effet de marché.
C’est exactement ce que ABM Studio entend faire avec son application Art, book, magazine.
ABM est composé d’une agence de création (applications, sites, contenus numériques, livres numériques) et d’un service de diffusion et de distribution (pour ses propres produits et ceux de partenaires dont elle est prestataire). La plateforme Art, Book, Magazine forme donc un espace où pousser ces contenus vers les utilisateurs, lecteurs et consommateurs. Aujourd’hui, cette plateforme propose une centaine de livres.
En conclusion, Vincent Piccolo a expliqué que le marché du livre d’art ne fonctionnera que s’il est mondial, puisque la demande est partout la même. Le plus important donc de trouver un format qui conviennent à l’édition d’art, et de créer des places de marché.
Le catalogue raisonné digital : quand la forme est fonction
Un catalogue raisonné se veut l’inventaire le plus complet possible des œuvres d’un artiste ou d’un musée. Sa qualité se mesure à l’exhaustivité et à la fiabilité des informations qu’il délivre.
L’établissement d’un catalogue raisonné est un travail de longue haleine, extrêmement onéreux, qui plus est pour les artistes contemporains dont l’œuvre peut être prolixe et très documentée. Ainsi, Carina Evangelista a évoqué le cas du catalogue d’Andy Warhol, dont la publication est en cours. Les quatre premiers tomes, qui ne traitent qu’à peine plus de la moitié de sa carrière coûtent à eux seuls 1632 euros et pèsent 20 kg (pour 2542 pages)!
Face au prix et à la taille monumentale de certains catalogues raisonnés, le numérique apparaît donc comme une solution pratique. Mais les avantages de la publication électronique sont bien plus nombreux! Carina Evangelista nous en a convaincu en nous présentant le catalogue de l’oeuvre de Chuck Close, dont elle a dirigé la publication au sein de la maison d’édition Artiflex Press.
Le catalogue raisonné de Chuck Close entend faire la somme de quatre décennies de peintures de cet artiste contemporain vivant à New York. Son format numérique offre une navigation renouvelée à travers l’oeuvre. Ainsi, au classement chronologique, traditionnel dans les catalogues raisonnés, est substitué un mode d’accès multi-entrées (par thématique, médium, format…) : c’est la fin du livre linéaire. La présentation des œuvres est accompagnée de nombreux documents d’archives : photographies d’atelier, d’expositions, interview audio, film… Il est bien sûr possible de zoomer sur les œuvres, numérisées en haute définition.
Le catalogue est mis à jour à mesure que l’artiste crée. Il est également actualisé à chaque fois que de nouvelles informations sont découvertes par les spécialistes de son œuvre. On touche là à l’un des problèmes majeurs du catalogue raisonné papier : ce type de publication prétend à l’exhaustivité et « arrête » l’état des connaissances. Or, les œuvres poursuivent leur existence même après la mort de l’artiste : elles font l’objet d’expositions, de travaux de recherche et de publications. Les catalogues raisonnés sont donc périmés avant même d’être publiés ! Le numérique permet, au contraire du papier, des mises à jour et des enrichissements réguliers.
Si le numérique règle la question du volume de la publication, il ne règle cependant pas celui du coût d’établissement de tels catalogues, forcément long, ni celui des droits à l’image, qu’il faut patiemment récolter.
Dans le cas du catalogue raisonné de Chuck Close, l’accès à la publication est gratuit (sur simple inscription sur le site d’Artifex). Ça n’est pas destiné à durer, l’inscription sera remplacée par un abonnement payant : je pense qu’il s’agit d’une preuve de concept pour la maison d’édition, qui est actuellement engagée dans la publication de plusieurs autres catalogues raisonnés numériques.
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