Lors du colloque « Les nouvelles technologies appliquées au patrimoine », Lydie Janny et Marie-Paule Jean-Louis nous ont présenté le tout jeune réseau des musées en Amazonie qui rassemble trois institutions autour d’un site web et d’actions communes (formation professionnelle, médiation, valorisation des collections). Leur intervention soulevait des problématiques rarement évoquées en métropole mais qui devraient nous inspirer.
Réseau des musées en Amazonie: une démarche collaborative qui favorise l’accessibilité et la valorisation des collections
Le plateau des Guyanes, en Amazonie, forme un espace géologique cohérent, où évoluent depuis longtemps plusieurs populations autochtones et bushinenge (descendants d’esclaves ayant fui dans la forêt). Ce vaste territoire est aujourd’hui partagé entre différents pays : Guyane et Guyane française, Suriname et Brésil. Les artéfacts des principales populations qui occupent ce territoire sont conservés dans la dizaine de musées que compte la région. Pourtant, jusqu’ici, aucun programme commun ne leur permettait de se rassembler : ces musées, aux collections complémentaires, ne se connaissaient tout simplement pas. C’est de ce constat qu’est né le réseau des musées d’Amazonie, qui se localise actuellement dans la partie est du plateau.
Trois musées, en Guyane française, au Suriname et au Brésil se sont lancés dans un projet commun et participatif qui comporte notamment un volet de numérisation et de mise en ligne des collections.
La première campagne, menée de 2011 à 2013 a concerné la création d’une base de données commune dans laquelle chaque partenaire a renseigné environ 2300 artéfacts ethnologiques présents dans ses collections (essentiellement amérindiens et bushinenge). A la création de cet outil était associé un programme de formation des professionnels des musées et un programme de médiation tourné vers le public local. L’articulation de ces trois volets offrait des problématiques intéressantes qui méritent d’être restituées.
La prise en compte de la transfrontalité des populations et donc des collections
La mise en ligne d’une base des collections commune aux trois musées était un des objectifs centraux du réseau. D’une part, la création du site internet et de la base permet de reconstituer des ensembles culturellement cohérents. D’autre part, le site permet de restituer virtuellement ce patrimoine aux populations qui en sont à l’origine et qui, au cours des XIXe et XXe siècles, ont vendu, troqué, donné leurs artéfacts, voire en ont été spoliés. Cette dimension de « réappropriation » du patrimoine, au delà de la mise en ligne, s’est également matérialisée par une coopération des communautés pour l’établissement du catalogue.
A catalogue des collections, instrument peu accessible au « grand public », ont été adossées plusieurs expositions virtuelles, qui offrent une médiation plus directe aux publics visés et ouvrent une porte d’entrée vers la base de données.
Les problématiques spécifiques du territoire Amazonien : l’accès à internet et à la langue
Dans ses objectifs, le réseau des musées est résolument tourné vers les publics locaux. Cependant, pour atteindre cet objectif, le réseau est confronté à des obstacles spécifiques. Le territoire concerné est très mal couvert par les services de télécommunication (en Guyane française, à peine 20% du territoire dispose d’un accès correct à internet). C’est pourquoi il a fallu trouver des solutions alternatives au site internet. Celui-ci est donc décliné sous forme d’une application sur clé USB, distribuée gratuitement aux écoles et bibliothèques. La mise à jour est effectuée à chaque fois que l’ordinateur peut accéder à internet. Évidemment, ces mises à jour ont été calibrées de façon à être les plus légères possible.
Cet outil est apprécié en Guyane française, où il facilite l’enseignement de l’histoire de l’art à l’école, en fournissant un matériau pédagogique spécifique.
Le recours à des médiateurs s’est relevé nécessaire pour former les publics à l’utilisation de la base de données et des pages qui y sont associées. Au-delà de la médiation du patrimoine, ce programme participe donc à l’éducation populaire à l’outil informatique et contribue à réduire la fameuse « fracture numérique ».
Le réseau a dû faire face à un autre défi de taille, celui du multilinguisme. Le territoire concerné comptabilise cinq langues officielles et plus de trente langues vernaculaires. Il a donc fallu concevoir un site multilingue et changer les pratiques quant au renseignement des métadonnées dans les bases documentaires. Il a notamment été nécessaire d’harmoniser les champs et les thésaurus en intégrant cette multitude de langues, avec des termes qui ne trouvaient (souvent) pas d’équivalent. De plus, on imagine les difficultés de transcription de certains dialectes, qui circulent essentiellement sous forme orale. Dans ce travail, l’association avec les populations locales a été précieuse : elles seules, parfois, maîtrisent la langue et les usages de certains artéfacts. Leur expertise a donc été sollicitée pour traduire et corriger certains termes.
Le participatif comme clé de voûte d’un système
La dimension participative était un des enjeux centraux du projet et se déclinait sous différentes formes :
- un module de commentaire associé à la base de données qui permet aux usagers de suggérer des corrections pour chacun des artéfacts.
- des ateliers avec les populations (notamment en milieu scolaire) afin de créer des contenus (renseignements des artéfacts, enregistrement de la mémoire : films montrant les usages des objets et les méthodes de fabrication traditionnelles).
Une coopération transfrontalière de professionnels qui ne se connaissaient pas
La création du réseau a permis d’organiser des séminaires professionnels pour échanger sur les pratiques métiers. Divers sujets ont été abordés, comme la conservation préventive en milieu tropical, le patrimoine immatériel et la conservation des artéfacts ethnologiques. Ces séminaires ont également été l’occasion de préparer l’alignement des données produites par les différents musées en élaborant des thésaurus communs et en s’entendant sur des champs.
Il s’agit d’un projet naissant mais déjà très enthousiasmant. La deuxième phase de développement envisage une ouverture à de nouvelles populations et à de nouveaux ensembles d’œuvres.