IFLA 2014 : Les bibliothèques d’art face au défi de l’édition électronique (5)

L’Institut National d’Histoire de l’Art, à Paris, accueille du 12 au 14 août l’une des nombreuses conférences satellites du 80e congrès mondial des bibliothèques et de l’information de l’IFLA (Lyon, 16-22 août 2014). « Les bibliothèques d’art face au défi de l’édition électronique : nouveaux formats, nouveaux acteurs, nouvelles solutions » est le thème retenu. 

Synthèse de mes notes pour la cinquième session de conférences, dont vous pouvez retrouver le programme ici. En fonction de la mise en ligne des PowerPoint, je complèterai ou corrigerai ces notes.

Session 5 – Mettre en boîte le numérique ? Collecter et conserver la création artistique

La dernière session de la préconférence était animée par Anna Svenbro, du service du Livre et de la Lecture au Ministère de la Culture et de la Communication. Autour de la table, étaient présents Clément Oury et Françoise Jacquet, pour parler du dépôt légal du Web à la BnF ; Claire Leroux, directrice du laboratoire ARNUM pour évoquer la préservation de l’art numérique ; Stephen J. Bury et Walter Schlect (Frick Art Reference Library & Pratt Institute Library) pour présenter le plan d’archivage du web du New york Art Resources Consortium

Le dépôt légal du Web à la BnF

Internet produit son propre patrimoine, qu’il est important de conserver avant qu’il ne disparaisse. Les menaces qui pèsent sur les contenus du web sont nombreuses : disparition du support physique, obsolescence matérielle et logicielle. Les rapports aux contenus ont évolué : ainsi, un livre matériel ne peut être lu simultanément que par un seul lecteur, mais si ce livre matériel disparaît, il en existe des centaines voire des milliers d’autres exemplaires. En revanche, une ressource numérique peut être consultée simultanément par un nombre infini de lecteurs, mais si le point d’accès (URL ou contenu du serveur) disparaît, la ressource n’est plus accessible, voire définitivement disparue.

Ainsi, Clément Oury a cité le cas du site web de l’Élysée, refondu de fond en comble à chaque élection. Il semble qu’aux dernières élections, les nouveaux occupants du palais aient supprimé des serveurs tous les contenus de leurs prédécesseurs, sans même les archiver sur les serveurs ! C’est notamment pour pallier à ce genre de manquement que le dépôt légal du web agit.

L'interface des archives de l'internet français, consultable depuis les postes de la BnF

L’interface des archives de l’internet français, consultable depuis les postes de la BnF

En France, comme toute autre publication, le web est soumis au dépôt légal. Les producteurs n’ont pas de démarche à effectuer, les collecteurs s’occupent de tout ! Deux instances se partagent le travail : la BnF et l’INA, chacun dans ses domaines de compétences. Des robots (sortes d’internautes automatiques, souvent symboliquement figurés comme des araignées) parcourent et archivent le web français. Ce n’est pas le « meilleur » du web qui est collecté, mais un corpus qui se veut représentatif de l’internet français : on y trouve des sites institutionnels, des sites de médias, des productions personnelles, des blogs, des tumblr… Plusieurs campagnes sont organisées chaque année : une campagne globale, qui vise à sauvegarder le maximum de sites produits ou hébergés en France et des collectes thématiques, plus fréquentes, sur des sujets précis (une élection, un type de publication…). Les sites institutionnels (ministères…), politiques (partis…) et les grands médias sont moissonnés plus régulièrement (fréquence quotidienne ou hebdomadaire).

Maintenir la continuité des collections à l’heure d’internet : du catalogue de vente au site web de maison de vente

À la suite de l’introduction de Clément Oury, Françoise Jacquet, conservatrice au département Art & littérature, est venue présenter la collecte thématique des catalogues de vente numériques et des sites de maisons de vente.

La Bibliothèque nationale de France conserve une immense collection de catalogues de vente, qui compte plusieurs centaines de milliers d’item. Cette collection offre un aperçu représentatif du marché de l’art français depuis au moins le XVIIe siècle. À l’heure du numérique, le marché de l’art a connu d’importantes mutations, dont la BnF doit rendre compte. Aujourd’hui, il ne reste guère que les grandes maisons pour encore publier de luxueux catalogues de vente : la plupart des maisons se sont tournées vers le web, qui offre des coûts de production réduits, permet aux acheteurs de mettre en place des systèmes d’alertes personnalisées, et surtout peut être actualisé. Ainsi, les prix d’adjudications sont publiés une fois les enchères terminées. Cette information, systématiquement disponible, offre une ressource nouvelle et précieuse pour les spécialistes de l’art. Il est donc indispensable de l’archiver !

La mise en place d’une collecte des sites web du marché de l’art français a été complexe. Tout d’abord parce que ces sites reposent souvent sur des technologies difficiles à archiver et qui échappent totalement aux robots : menus déroulants, animation flash, visionneuses… De plus, il a fallu faire face à la masse des données.

Capture d'écran du site Auction France le 13/08/2014

Capture d’écran du site Auction France le 13/08/2014

En 2013, avec l’aide de l’INHA et des départements des livres rares, des estampes et de la photographie et de la musique, également compétents dans ce domaine, un premier corpus de sites a été délimité. Pour être représentatif, il fallait mêler grandes structures (Art Auction, Drouot) et plus petites maisons, disséminées sur tout le territoire français. La première collecte a permis d’archiver 7 millions d’URL et 10 000 fichiers PDF. Les sondages effectués au sein de ce matériau ont révélé de bons résultats : les fichiers étaient satisfaisants.

Le programme a donc été poursuivi et le dépôt légal du web cherche maintenant à étoffer son offre, en visant plus systématiquement les petites maisons de ventes régionales, forcément plus fragiles en termes de pérennité sur le net. L’avenir du programme se heurte néanmoins à une difficulté de taille, l’accès sur abonnement. En effet, conscients de l’intérêt que présentent les archives des adjudications, les plus gros portails de vente sont tentés de les commercialiser (accès payant aux archives du site). C’est déjà le cas de plusieurs d’entre eux.

Les archives des sites de vente sont accessibles depuis une interface dédiée, sur les postes de la BnF et, prochainement, de certaines bibliothèques partenaires. La navigation à l’intérieur de ces archives est en soi un défi, puisque les moteurs de recherche internes des sites web ne fonctionnent pas pour les archives : la BnF expérimente d’autres solutions de présentation.

Conservation et patrimonialisation de l’art numérique

Claire Leroux, directrice du laboratoire ARNUM au sein de l’Ecole supérieure d’Informatique, Electronique, Automatique, travaille avec ses étudiants sur les problématiques inhérentes à la conservation de l’art numérique. Sa communication était appuyée sur une présentation déjà disponible sur Prezi.

Elle a introduit sa conférence par une anecdote personnelle qui dit toute la difficulté de conservation de l’art nativement numérique. Au milieu des années 1990, alors qu’elle se passionnait pour cette forme d’art, elle a constitué une collection de CD-Rom artistiques. Au passage à Windows XP dans la première moitié des années 2000, la lecture de ses CD était devenue impossible, les technologies ayant évolué. Pour accéder à nouveau à sa collection, deux solutions s’offraient : entretenir une vieille machine sous un système d’exploitation obsolète ou développer un émulateur compatible avec les dernières versions de son système d’exploitation. Ce constat l’a amené à s’intéresser aux problématiques de préservation et de patrimonialisation de l’art numérique.

À l’ESIEA, elle enseigne et réfléchit avec ses élèves à ces questions. Ensemble, ils essaient de comprendre les besoins des artistes et d’imaginer des solutions. Cela passe notamment par des partenariats avec des plasticiens ou des institutions, comme le MAC VAL. Ainsi, le laboratoire a étudié et documenté une œuvre de François Morellet, 56 lampes avec programmation aléatoire – géométrique – poétique, dont on ne savait presque rien sur son mode de fonctionnement. Il participe également à la réalisation d’œuvres, en assistant certains artistes dans la création. Ainsi, le laboratoire apporte son expertise dans l’élaboration d’une œuvre d’Olga Kisseleva, Tweet Time. L’œuvre se présente sous la forme d’une horloge qui ralentit d’une seconde à chaque fois qu’un utilisateur de Twitter poste un message exprimant qu’« il n’a pas le temps ».

La documentation des œuvres est au cœur de leurs préoccupations : comment transmettre les informations techniques nécessaires à l’usage, l’entretien et la restauration éventuelle d’une œuvre, quand les technologies sur lesquelles elle repose auront peut-être disparu dans quelques années ?

Le laboratoire cherche notamment à mettre au point des protocoles de documentation, applicables par les artistes et les institutions muséales. Ainsi, il semble important de répondre à des questions telles que : la problématique de l’artiste, l’intention dans la réalisation (ce que l’œuvre doit produire) et la manière dont l’œuvre a été réalisée (technique).

Parfois, pour maintenir une œuvre, il faut remplacer des pièces, voir la reprogrammer. En réécrivant le code, en adaptant aux technologies modernes, restaure-t-on vraiment l’œuvre ou crée-t-on quelque chose de nouveau ? De telles problématiques nous renvoient à la notion classique en restauration d’authenticité de l’œuvre d’art.

Quand le trou noir s’éclaircit, l’archivage du web au NYARC

Un peu épuisée par une demi-journée si dense, mes notes de la dernière intervention sont plus clairsemées.

J’ai juste noté que les institutions artistiques de New York s’étaient réunies en un consortium (New York Art Resources Consortium) afin de réfléchir et d’agir ensemble pour l’archivage du web relevant du monde de l’art. Il faut savoir qu’aux États-Unis, il n’existe aucune disposition pour le dépôt légal des ressources électroniques. L’archivage en est d’autant plus complexe. Le NYARC entend collecter légalement (donc doit obtenir des autorisations) et donner accès depuis le web aux instances archivées. Elles doivent être cataloguées, moissonnables et accessibles depuis Worldcat et art discovery. Comme les autres programmes d’archivage, le NYARC se heurte aux problèmes technologiques : les métadonnées ne sont pas toujours propres, les technologies mobiles et les échanges publics sur les réseaux sociaux sont autant de formats impossibles à collecter.

La conférence satellite de la section des bibliothèques d’art s’est achevée par une synthèse de Martine Poulain. À l’occasion de l’#IFLA2014, l’INHA a accueilli 120 participants représentant quelque 20 pays à travers le monde.

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