IFLA 2014 : Les bibliothèques d’art face au défi de l’édition électronique (1)

L’Institut National d’Histoire de l’Art, à Paris, accueille du 12 au 14 août l’une des nombreuses conférences satellites du 80e congrès mondial des bibliothèques et de l’information de l’IFLA (Lyon, 16-22 août 2014). « Les bibliothèques d’art face au défi de l’édition électronique : nouveaux formats, nouveaux acteurs, nouvelles solutions » est le thème retenu.

Synthèse de mes notes pour la première demi-journée de conférence, dont vous pouvez retrouver le programme ici. En fonction de la mise en ligne des PowerPoint, je complèterai ou corrigerai ces notes.

Ouverture de la pré-conférence

Je n’ai pas pu assister à la présentation de la pré-conférence par Véronique Thomé et Sandra Brooke ni à la première intervention, puisque je m’occupais de l’accueil des participants. Le résumé de la présentation de Milan Doueihi (philosophe et historien des religions, Université de Laval), consacré aux Mutations du document à l’ère numérique est disponible ici.

Présentation du paysage numérique français

Pour une mise en contexte, Anne-Elisabeth Buxtorf, directrice de la bibliothèque de l’INHA a brossé, en trente minutes, un rapide panorama de l’édition numérique française. Son exposé était construit autour de trois axes : enjeux économiques, l’édition universitaire et la place des musées.

Le marché du livre numérique

Le livre numérique est devenu l’un des marronniers de la presse généraliste française qui s’interroge régulièrement sur la fin (supposée prochaine) du livre papier ou des bibliothèques. Pourtant, le marché français ne semble pas avoir définitivement viré en faveur du numérique. En effet, si 49 % de la population française achètent des contenus numériques, le livre numérique (e-book) ne représente que 16% de ces contenus.

Le monde de l’édition est en pleine effervescence. En 2013, une loi sur les contrats d’édition est venue encadrer l’édition numérique française, fixant les termes des nouveaux liens entre les auteurs et les éditeurs. Comme le livre papier, la TVA du livre numérique est fixée à 5,5%. L’offre numérique se diversifie et les contenus disponibles sont de plus en plus nombreux. À la BnF, le projet ReLire entend recommercialiser sous forme numérique des livres épuisés encore sous droit d’auteur. Les librairies ont fait un effort important pour offrir des plateformes de vente tandis que les bibliothèques commencent à constituer des collections numériques et à prêter des liseuses à leurs usagers.

Malgré cette effervescence, « le papier fait de la résistance » face au numérique. En effet, on observe une faible progression des ventes numérique. Le livre numérique ne représente que 3,1 % du chiffre d’affaires de l’édition, alors que ce taux atteint 12% au Royaume-Uni, 15% au Canada et même 20% aux États-Unis !

Pourquoi un tel retard en France ? Les explications sont nombreuses : DRM, prix unique, attachement aux librairies physiques, offre numérique encore peu convaincante et trop chère. En effet, le consommateur estime que le livre numérique, dématérialisé, devrait présenter un prix inférieur à celui de son équivalent imprimé. Contrairement à d’autres pays, ce n’est pas le cas en France, où les éditeurs résistent à la baisse des prix, arguant notamment que les coûts de fabrications sont équivalents.  L’offre demeure peu étoffée (notamment concernant la littérature jeunesse ou le livre d’art), mais surtout peu inventive. Les éditeurs proposent essentiellement des livres homothétiques et ne s’aventurent pas ou peut dans le livre « enrichi ». Anne-Élisabeth Buxtorf a cité quelques exemples exceptionnels comme mon musée imaginaire de Paul Veyne, que l’éditeur (Albin Michel) présente comme le premier livre d’art numérique. Notons au passage qu’il est vendu deux fois moins cher que son équivalent papier !

De nouveaux modèles semblent pourtant émerger :

  • la BnF entend proposer à la commercialisation des versions numérisées des livres indisponibles (projet ReLire, objet de nombreux débats)
  • Amazon veut lancer le concept de la lecture en streaming (note personnelle : une concurrence à la bibliothèque ?)
  • On observe de nouvelles pratiques de lecture et d’écriture dans la population
  • Les bibliothèques multiplient les expériences : prêts de tablettes, téléchargement, fan fictions…)

Les revues scientifiques & l’Université

Mes notes sont un peu moins étoffées pour cette partie. Anne-Élisabeth Buxtorf a évidemment évoqué la cherté des bouquets proposés par les grands éditeurs (Elsevier…), mais aussi certaines spécificités françaises, comme le Consortium Couperin (Consortium Unifié des Etablissements Universitaire et de Recherche pour l’Accès aux publications Numériques). Elle a également évoqué l’engagement de l’Etat Français qui a fait de l’open access un axe fort de sa politique numérique. Ainsi, trois structures importantes ont été citées : HAL (archive ouverte pour le dépôt des travaux de recherche), la BSN (Bibliothèque scientifique numérique) et le portail Persée (programme de publication électronique de revues scientifiques en sciences humaines et sociales).

Il a également été question des nouvelles formes de diffusion du savoir universitaire, tels les MOOCS.

L’édition numérique et les musées

L’édition numérique dans les musées est assez hétérogène : il y a une constellation de projets plus ou moins importants pour accompagner des expositions ou valoriser des contenus. Si 75% des musées français possèdent une identité numérique (au moins un site web), seuls 5% d’entre eux proposent une médiation numérique sur place. Sur ce plan, on observe une véritable fracture entre les très grands établissements (musées nationaux) et petites structures. L’exemple du Louvre a été donné, présenté comme le musée français le plus influent sur les réseaux sociaux. Exemple discutable à mon sens, puisqu’uniquement basé sur le nombre de like ou de followers et non sur le taux d’implication ni le caractère innovant de l’interaction avec les usagers. Il me semble que la réussite de comptes tels que ceux de Gallica ou de Carnavalet est autrement plus remarquable.

Pour finir, deux récentes expérimentations innovantes dans le monde des musées ont été citées : le Centre Pompidou Virtuel et le Joconde Lab. Ces deux projets annoncent le web sémantique et ses futurs usages.

Capture de Joconde Lab sur tablette

Capture de Joconde Lab sur tablette

Le PowerPoint qui accompagnait ce panorama était très riche et il me tarde de le parcourir pour compléter ces notes, très incomplètes.

Session 1 – L’art numérique : source et ressource

Cette première session était modérée par Anne Faure, directrice de la médiathèque du Quai Branly. Il était question d’explorer les manières dont le numérique a changé les rapports entre artistes et institutions. Catherine Collin, responsable des services aux publics au Musée des Arts Décoratifs présentait plusieurs interventions d’artistes au sein de son établissement. À sa suite, Renaud Brizard,  ethnomusicologue nous a entretenus des « siestes électroniques » un concept à succès qui enchante le théâtre de verdure du Quai Branly tous les étés depuis 2011. Enfin, aurait du intervenir Lori Zippay pour parler de l’offre en straming de l’Electronic Art Intermix. Malheureusement, elle n’a pas pu prendre son avion depuis New-York : sa communication nous a été lue.

Relations textuelles, images conversantes, œuvres concrètes

Après avoir brièvement rappelé l’histoire de l’Institution des Arts Décoratifs et ses relations avec la création, Catherine Collin a parlé des correspondances et du rapport entretenu par l’art numérique à l’égard des formes d’art précédentes, appuyant son propos par une myriade de citations et d’images mises en regard avec bonheur. L’occasion de redécouvrir le travail du photographe Léo Caillard, qui produit une réflexion intéressante sur l’univers numérique et le monde muséal « classique ».

Léo caillard

Léo Caillard

Elle a ensuite rappelé l’engagement du musée des Arts Décoratifs en faveur du numérique, récemment appuyé par un important mécénat de la fondation Bettencourt Schuller, qui va notamment servir à la numérisation et à la mise en valeur du fond Maciet.

Le cœur de l’exposé consistait en la présentation de l’intervention de quelques artistes dans le musée au cours de ces dernières années. Elle a notamment évoqué à petit pas vers l’Annonciation, œuvre interactive d’Albertine Meunier, qui s’animait en fonction de l’emploi de certains mots sur twitter. Il a aussi été question de l’œuvre de Pierre Giner, qui, lors d’une résidence aux Arts Décoratifs, a envahi le département contemporain de son avatar, proposant au visiteur une interaction inédite et virtuelle avec les artefacts exposés dans les salles.

Les « siestes électroniques » au Musée du quai Branly

Le concept des siestes électroniques a été inventé en 2001 à Toulouse : il s’agissait de proposer aux habitants un festival gratuit de musiques électroniques douces et accessibles à tous. Depuis 2011, le musée du quai Branly accueille, tous les ans, au mois de juillet, une édition de la manifestation. Le dimanche, le public est invité à écouter, dans le théâtre de verdure, des concerts orchestrés par des artistes invités. Ceux-ci composent leur musique à partir des collections sonores de la médiathèque, invitant à leur (re)découverte.

Bien en amont des siestes, les artistes invités pour l’événement viennent travailler à la médiathèque où Renaud Brizard les accueille et les guides dans les riches collections (5000 disques et des archives d’ethnomusicologues). Ils peuvent emprunter des cds, copier les sons, les mixer… Certains se fixent des thématiques (musique des minorités du proche orient, instruments à vent…), d’autres naviguent librement parmi les sons. En 2013, par exemple, les siestes ont reçu Pierre Bastien, qui a mêlé les sons que produisent ses instruments construits en mécano et ceux des collections.

Pierre Bastien | Les Siestes Electroniques au… par lessiesteselectroniques

La collection devient donc une source d’inspiration pour la création des artistes. En contrepartie, les siestes assurent une diffusion large et originale des collections du Quai Branly. Cela passe par un important effort de médiation : sur place et sur internet, les spectateurs peuvent trouver de nombreuses informations sur les musiques qu’ils ont entendues, en apprendre plus sur les fonds sonores du musée et de la médiathèque. Une application propose d’explorer le musée en musique et de découvrir une quinzaine d’instruments exposés dans la collection permanente. Par ailleurs, les siestes reçoivent un important écho dans les médias : plusieurs journaux leur ont consacré des reportages, certaines éditions sont diffusées sur les ondes (radio campus, le mouv’…) et des captations sont disponibles en streaming. Le succès est tel que le Quai Branly éprouve des difficultés à recevoir un public toujours plus nombreux. Cette année, il a même été nécessaire de mettre en place un système de préinscriptions.

Cette intervention très riche et surprenante est parmie celles qui m’ont le plus enthousiasmé de la conférence. Une très belle initiative !

De l’archive numérique au catalogue en ligne : un nouveau modèle de streaming pour la conservation et la diffusion du média art

Situé à New-York, Electronic Art Intermix est une organisation à but non lucratif, fondée en 1971, qui favorise la création, l’exposition, la préservation et la diffusion de l’art médiatique (vidéo puis numérique). À la tête d’une collection de quelque 3500 œuvres vidéo datées des années 60 à aujourd’hui, l’Electronic Art Intermix (EAI) s’efforce de diffuser son patrimoine auprès du public, en particulier auprès des scolaires et des étudiants en arts.

La visibilité de l’EAI et de ses collections s’effectue notamment par son catalogue en ligne. Très prochainement, dans le but d’ouvrir plus largement l’accès aux œuvres, l’EAI va proposer un abonnement pour visualiser en streaming les vidéos de ses collections. Cet abonnement sera accessible aux bibliothèques et aux établissements scolaires.

Electronic Arts Intermix, page d'accueil du site

Electronic Arts Intermix, page d’accueil du site

Les défis de ce projet singulier sont aussi nombreux que complexes. Ils touchent principalement les aspects juridiques et techniques. Préalablement à la diffusion, l’organisme faut s’assurer de l’accord des artistes, ainsi que de tous les ayant-droits (pour la musique notamment). Le plus souvent, l’artiste garde la propriété intellectuelle, tandis que l’EAI lui loue ou lui achète les droits de diffusion et d’exploitation. La plateforme doit permettre un suivi précis des visionnages, afin de rétribuer justement chaque artiste en fonction du nombre de représentations de ses œuvres. L’un des enjeux est de trouver des solutions techniques qui offrent une haute qualité d’images et de sons et assurant une conservation pérenne des fichiers.

L’EAI n’est pas toujours déconnecté du marché de l’art : des galeries peuvent demander la conservation ou la mise à disposition d’œuvres dont elles n’ont pas les moyens d’assurer la pérennisation ou la diffusion. L’EAI peut également louer les œuvres pour des expositions.

Avec sa nouvelle plateforme, l’EAI espère proposer un nouveau modèle de publication électronique pour l’art numérique et vidéo, basé sur un modèle économique viable. En cela, l’organisation s’affirme comme une structure innovante et perspective sur les usages des artistes et des consommateurs culturels.

2 comments

  1. Merci beaucoup pour ce compte rendu ! Savez-vous si les PowerPoint des présentations seront disponibles en ligne ? Merci encore.

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